LE CINÉMA DE LOTTE REINIGER.

Cinéma 80, n° 256, avril 1980.

Depuis Das Ornament des Verliebten (L’Ornement du coeur amoureux), qui date de 1919 (elle avait alors vingt ans), Lotte Reiniger n’a jamais cessé de tourner des films selon son propre système d’ombres chinoises. Le film anglais, L’Art de Lotte Reiniger nous en apprend beaucoup sur sa technique d’animation image par image. Avec une habileté et une rapidité déconcertantes, elle découpe ses silhouettes aux ciseaux – qui représentent aussi bien des êtres humains, des animaux, des arbres ou des monstres – et, grâce à une sorte de clou, elle attache les membres qu’elle actionne avec une aisance étourdissante. À propos des ciseaux, Bela Balazs définissait le film d’ombres chinois comme des travaux où « Nous avons accès à un monde clos, régi par d’autres lois, tout à fait différent (...). La puissance qui met en mouvement son destin n’est pas la psychologie, n’est pas l’optique, mais ce sont les ciseaux ».

L’exposition, qui s’est tenu parallèlement à la présentation de ses films dans les lieux mêmes du Goethe Institut de Paris et qu’elle est venue présenter, nous montre la machine avec laquelle la cinéaste a travaillé la plupart de ses films. Construite artisanalement, cette machine de banc-titre, tout comme sa méthode d’animation, étonne plus d’un visiteur par son archaïsme. Et c’est sur cette machine-là qu’elle a conçue quelques-uns de ses plus beaux films.

Entre 1923 et 1926, avec son mari Carl Koch qui, jusqu’à sa mort en 1963, fut son collaborateur, elle réalise le premier long métrage d’animation de l’histoire du cinéma : Die Abenteuer des Prinzen Achmed (Les Aventures du prince Ahmed) auxquels les excellents Walter Ruttmann et Berthold Bartosch ont collaboré. Filmé dans une mansarde à Postdam, ce film, comme tous les autres de Lotte Reiniger, est réalisé avec le maximum de fioritures et de décor et une économie de moyens qui, par une accentuation de la fascination du regard, accroissent visuellement le mouvement des ombres chinoises.

On a reproché, avec raison, une certaine naïveté aux films de Lotte Reiniger. Il est vrai que ses histoires ont trouvé leur inspiration dans un univers enfantin de conte de fée et d’images mythologiques et religieuses – comme le très beau Étoile de Bethléem, filmé en couleurs – où tout est à voir au sens premier de l’image et il n’est pas très judicieux d’aller y chercher autre chose que ce que les images représentent. Le Calife cigogne, Cendrillon, La Sauterelle et la fourmi, La Belle au bois dormant, Le Petit Poucet sont des titres qui révèlent la démarche profonde de Lotte Reiniger : se mettre au service d’un imaginaire enfantin dont elle procure, par un langage visuel débarrassé de la parole, des images charmantes (comme le disait justement Kracauer), plaisantes, enivrantes et réconfortantes.

Gérard Courant.

 


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