CE RÉPONDEUR NE PREND PAS DE MESSAGE de ALAIN CAVALIER.

Cinéma 79, n° 247/248, juillet/août 1979.

Comment beaucoup de cinéastes français, Alain Cavalier semblait essentiellement cantonné dans le cinéma commercial, un cinéma dans lequel le mode de production joue un rôle capital et définit une esthétique productrice d’un certain type de films avec acteurs connus, un récit normalement constitué, etc. Les règles fondamentales de notre société n’y sont jamais prises complètement à revers ou lorsqu’elles le sont, les repères sont suffisamment apparents pour désamorcer toute déviation digne de ce nom et, par là, une reprise en main de l’ordre du film.

Il est possible d’imaginer, à voir cet objet étrange, Ce répondeur ne prend pas de message, que Cavalier trace un trait désormais définitif sur son passé de cinéaste dans le Système et à sa conception du cinéma, à son discours et même à sa conception de la vie. Pourquoi pas ? Ou bien ce changement ne l’est-il qu’en apparence ? La narration à l’état léthargique, l’unique personnage qui se refuse à la parole, le choix « conceptuel » du tournage en une seule prise et sans montage (tout est monté bout à bout) sont autant de choix esthétiques qui font de ce film un cri muet de désespoir dont une blessure, jamais explicitée, est le moteur.

L’espace devient prison, les actions (marcher, peindre les murs et les fenêtres en noir) un lent mais inexorable désagrégement de l’être (et par conséquent de sa pensée, de ses sentiments), le silence, divinement obsédant pour qui attend un déchirement sonore, exaspère (mais c’est déjà ça !). On désirerait que cet homme, dont on ne sait pas qui il est (d’abord hors-champ, présenté ensuite le visage enveloppé dans de la bande velpo), ni d’où il vient, offre une clef si minime soit-elle sur son histoire et sur sa passion déchue qui doit avoir atteint un degré ultime de désespoir pour en arriver à cette déchirure de l’âme, dont parle Aragon, à cette abolition de l’être.

Qui est cet homme ? Vers quoi, vers où veut nous emmener Alain Cavalier ?

Ce refus de mettre les points sur les « i » marque un profond désarroi chez un cinéaste qui a retrouvé, pour une durée indéterminée, la direction de sa caméra. S’enfoncerait-il dans un éloignement de plus en plus sensible du pourquoi il filme ou, peut-être, le film se propose-t-il d’en être la réponse ?

Ce trouble manifeste apparaît très nettement dans ce passage du blanc au noir, de la lumière à l’obscurité, de ces bris de chaises, de cette impossibilité de communiquer qui, incontestablement, est repoussée d’entrée et ce n’est pas pour rien que toutes les portes se ferment une à une.

Dans cette attitude à coordonner renfermement sur soi et suicide moral et social, à partir d’un état défectueux de la cogitation, d’une peur effrénée du dire, où veut nous emmener Alain Cavalier ? Du côté de films comme Hôtel Monterey de Chantal Akerman ou de Leave me alone de Gerhard Theuring ? Ou du côté des derniers films déchirés de Philippe Garrel ?

Gérard Courant.

 


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