LETTRE À CHARLIE HEBDO.

Charlie Hebdo, n° 415, 26 octobre 1978.

Chers (anciens) amis,

Comment Charlie Hebdo est-il tombé si bas ? À lire, à propos du Festival du Jeune Cinéma de Hyères, tous les arguments que la presse bourgeoise déblatère contre le cinéma différent : essais de style merdeux, films intellectuels, narcissisme galopant, nombrilisme... Ça fait mal. Que l’on cite en exemple ce qu’il y avait de moins percutant à Hyères relève de procédés éculés dans la presse bourgeoise. Mais dans Charlie Hebdo !

Sans doute, n’y avait-il pas que du bon à Hyères (en particulier dans ce qu’on appelle « cinéma d’aujourd’hui »). Mais de là à généraliser tel film un peu plus faiblard que les autres à l’ensemble d’une production indépendante, on croirait lire quelques feuilles du Figaro ou de L’Aurore plutôt que de Charlie Hebdo. En être encore à réprimer la recherche parce qu’elle « n’est pas abordable à tous » me semble être plus des propos de marchands de cacahuètes ou de producteurs qu’un regard sur la réalité du cinéma différent. Une telle affirmation n’est que basse démagogie.

Non, le cinéma différent n’est pas – sauf exception – un cinéma référentiel, et encore moins à Duras, Téchiné et Godard... les pauvres, s’ils savaient !

Non, le cinéma différent n’est pas un cinéma marginal. La marginalité, on s’en fout ; le cinoche, ça coûte cher et c’est pas la marginalité qui va nourrir un cinéastes différent.

Non, le cinéma différent n’est pas un cinéma culturel, même pas avec « Q ». Comment pourrait-il l’être quand on sait qu’il ne bénéficie d’aucune aide, ni privée, ni étatique.

Oui, nous filmons les poubelles, le cul de la Chevrolet mal garée, la merde (magnifiquement filmée dans Droïds de Jean-Pascal Aubergé), le sexe, la tasse de café vide, la tasse de café pleine, etc. Tout, quoi.

Non, nous ne filmons pas les P.D.G., Chirac, de la Malène, les petits commerçants, Rufus, Delon, Lénine, les plombiers, Hitler, les mariages, la messe, les Indiens, les facteurs, le pape. Tout, quoi.

Oui, nous filmons les P.D.G., Chirac, de la Malène, les petits commerçants, Rufus, Delon, Lénine, les plombiers, Hitler, les mariages, la messe, les Indiens, les facteurs, le pape. Tout, quoi. Mais autrement.

Le génie. Le talent. La classe. Quoi encore ? À quand un ministère de la marginalité ?

Le cinéma différent dérange les péteux, les réacs, les cons, les retardés de l’académisme, etc. (et plein d’autres encore). Que le cinéma différent dérange Charlie Hebdo, alors, là, il y a du nouveau. Je dis bravo. Les temps changent.

À bientôt.

Gérard Courant.

 


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