FESTIVAL DE HYÈRES.

Art press, n° 22, novembre 1978.

Comme chaque année, la section « Cinéma Différent » du Festival de Hyères offre un panorama révélateur des diverses pratiques du cinéma indépendant qui sont développées à travers le monde. Si cette année, la représentation française était minoritaire, c’est dû essentiellement au boycott d’un nombre important de cinéastes aux démarches pourtant pertinentes. Comme toute avant-garde éclairée, ces cinéastes-là sont opposés à un festival compétitif (donc hiérarchique) où sont distribuées des récompenses sous forme de prix. Malgré ces absences, la sélection méritait d’être soutenu puisque tous les films qui avaient été choisis marquaient une rupture avec des concepts esthétiques, politiques et économiques propagés par le Cinéma de Consommation Courante.

Le Grand Prix du Festival a été décerné à Droïds de Jean-Pascal Aubergé. Et c’est justice quand on sait que ce fut le seul film à briser, par son agressivité et son regard foudroyant sur les êtres, la position confortable et douillette des spectateurs. Tel un rouleau compresseur, le film écrase tout sur son passage. Intense, inquiétant, lourd, compact, Droïds est un film qui nous impose une vision du monde (la nôtre ?) à la dérive. On n’est pas prêts d’oublier certaines images de bébés, ni cette vieille photo d’un homme dont le visage dégage une émotion doublée d’angoisse. On en frémit encore !

Avec Frauenzimmer, la démarche de Pierre Bressan est aux antipodes du réalisme. Ici, tout est feutré, poli, « sur du velours ». Chaque plan « glisse » à la suite du précédent sans « accident », sans heurt.

Présenté hors-compétition, The Camera : je de Babette Mangolte est un bel exemple d’auto-cinéma, de ce que l’on ne met que rarement en scène au cinéma : les rapports filmant/filmés. Babette Mangolte n’a pas oublié son passé de photographe. Ainsi, en voix off, la cinéaste donne des indications à ses « modèles » dont le regard, toujours tourné vers la caméra, en appelle au spectateur pendant que l’image – volontairement austère (au sens bressonnien) – restitue leurs réactions (hésitation, surprise, complicité).

À mi-chemin entre Lagado de Werner Nekes et Le Coup de dés de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, il fallait absolument voir le film de l’Allemand Einz Emighlz, La Traduction du démon de l’analogie dont le propos est d’articuler chaque son et chaque mot du texte de Mallarmé avec un ou plusieurs photogrammes.

Un autre travail « structurel » méritait des éloges : Vestibules de l’Américain Ken Kobland. Divisant l’écran en plusieurs parties mouvantes et jouant sur une quintuple superposition de l’image, Ken Kobland crée un mouvement antagoniste, à la fois haché et coulé. Un vrai plaisir pour l’oeil.

Avec Chérie que veux-tu ?, Unglee impose un style nouveau, mélange d’humour et de baroquisme. C’est un film au montage très rapide et les maquillages très appuyés de l’homme et de la femme créent une petite touche très bristish.

Dans Neroïcal de Laurence Vale et Barbara Glowczewska, les changements soudains de rythmes donnent à l’image (refilmée) de consistance et de la matière. C’est une exaltation du corps sans limite et sans frontière et c’est une représentation nouvelle du corps.

Dans la quarantaine de films sélectionnés à Hyères une grande partie mériterait, ici, d’être mentionnée, mais la place nous manque. Alors, citons rapidement la caméra qui voit tout de Living de Franz Zwartjes, le mouvement mécanique de La Petite fille de Pascal Auger, l’image bleutée et hyper-contretypée de Heh de Stéphane Delluermoz et enfin le cinéma qui joue sur l’illusion filmique dans Pyramid Drawings de l’Américain David Haxton. Que des beaux films !

Gérard Courant.

 


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