L’ENFANT SECRET de PHILIPPE GARREL.

Générique, n° 6, 11 février 1983.

En attendant une étude plus détaillée sur L’Enfant secret, le dernier film de Philippe Garrel, voici deux ou trois choses que je sais de ce film : L’Enfant secret est un film de poète du cinéma, le seul film de poète à avoir reçu le prix Jean Vigo depuis À bout de souffle. L’Enfant secret est le contraire des films français qu’on peut voir aujourd’hui, en ce sens que celui de Garrel serait beau même s’il avait été tourné en couleur ou en cinémascope. Mais ça n’a pas d’importance puisque, comme le dit, je ne sais plus quel livre de sagesse : la vérité est dans tout et même, partiellement, dans l’erreur. Je trouve le partiellement superbe. Il explique tout. Il explique que certains plans sont surexposés alors qu’on apprend aux étudiants de cinéma de l’I.D.H.E.C. ou d’ailleurs de créer une image « équilibrée ». Il explique aussi la reprise de certaines scènes (presque) identiques qui n’est pas dans le manuel du parfait scénariste. Il explique enfin que la lumière est dans tout et qu’il n’est pas nécessaire d’aller chercher des tonnes d’éclairages pour illuminer un plan.

L’Enfant secret va au–delà de tout le cinéma normal. C’est un film d’une logique inébranlable. Plus logique que Descartes. Chaque image est belle, non parce qu’elle est belle en soi, comme un plan d’Arkadin, mais parce qu’elle est la splendeur du vrai et que Garrel part de la vérité. Qu’ensuite, il en fasse des mensonges et des pirouettes, n’ait pas plus d’importance que de savoir que le Potemkine fut tourné vingt ans après les événements qu’il nous montre car, comme l’a dit Picasso, « L’art n’est pas une question de réussite mais de vérité ».

Là où les cinéastes n’arriveront que dans vingt ans ou jamais, lui en est déjà parti. Selon certains critiques, Philippe Garrel serait un cinéaste d’avant–garde parce qu’il n’a jamais tourné avec Isabelle Huppert et n’a jamais été produit par Gaumont. Selon moi, l’erreur de mes confrères est de prendre un peu trop au sérieux l’équation Isabelle Huppert + Gaumont = Cinéma.

On s’apercevra, alors, quand le cinéma aura rendu l’âme, que L’Enfant secret faisait office à l’époque, c’est–à–dire maintenant, de cinéma de poésie*.


*Dominique Païni et le Studio 43 viennent de présenter, du 19 au 31 janvier, une rétrospective presque complète de l'oeuvre de Philippe Garrel. Il ne manquait qu'Anémone (qui est un téléfilm et que l'auteur ne désirait pas inclure dans cette rétrospective) et Le Révélateur (dont il n'existe plus, actuellement, de copie projetable). Espérons que cette rétrospective voyagera en province.

 


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