LE BERCEAU DE CRISTAL de PHILIPPE GARREL.

Cinéma différent, n° 3, mai 1976.

Du milieu de l’aventure
Au bout du monde
Garrel sort d’un tombeau de pellicule
Après un périple en noir et en blanc
Dans Les Hautes solitudes
Où Un ange passe
Le fragile Berceau de cristal s’insère dans une trilogie
Avec La Cicatrice intérieure et Athanor
Folle odyssée à travers la conscience
Voyage plus tourmenté
Plus esthétique
Plus sophistiqué
Plus épuré
Vieille blessure ravivée
Ranimée
Écorche le Temps cinématographique
Consacre l’anormalité
Brise l’étanchéité du monde
Nettoie la pensée
Met en peinture une galerie de tableaux
Abîme sans fond
Péristyle dérisoire
Apparaît Frédéric Pardo
Peintre au travail
Délimitant les formes de son monde
Projetant ses couleurs
Mystifiant le cinématographe
Sous l’oeil de l’objectif
Dès qu’il eut franchi la Peinture
Le Cinématographe vint à sa rencontre
Soubresauts indisciplinés de la caméra
Indécision
Visages usés
Purs
Ombres blanches
Les visages éclairés dans l’écran noir
Saccagent le silence
Clarté soudaine
Le soleil est noir
Une femme marchait dans un rayon de soleil
Qui dessine des fleurs
Sculpte des feuilles
La vie quelle santé
La Beauté se baigne dans la Beauté
Objets lumière visages
Nico tragédienne
Margareth Clémenti sourire
Dominique Sanda fantomatique
Ash Râ Tempel sort d’un rêve Romantique
Pour nous ensevelir
Nous submerger
Nous enivrer
De sa musique magique cosmique
Musique pleine retenue
Musique dangereuse fuyante
Musique mesurée déchirante
Course effrénée à travers une forêt blanche
Transparente
Glorification consécration adoration
Nico Nico Nico
Dans un arrière–son musical
SA musique
En sourdine
Craquant crachant
Sous le diamant accrocheur du pick up
Allés et venus de Nico poursuivie par le projecteur lumière
Qui concentre sur elle comme dans un miroir ardent
Tous les rayons qui s’élançaient de son âme
Tour à tour dans le noir mélancolique
Dans la lumière nostalgique
Projetée dans le miroir déformant
La réalité s’enfuit dans les rêves
Nous renvoie dans l’écho de nos fantasmes
Grande leçon de sagesse où le maître
Apprend au disciple
L’illusion
Je sortirai de la guerre en fantôme
On n’échappe pas à son destin en courant
L’arme revolver
Déplacée
Détachée
Transperçante et glaciale
Intrusion menaçante sans équivoque
Ombre de vérité
Le revolver assassine l’harmonie
Brise l’équilibre
Désorganise le mouvement
Un filet de sang
Circule sans bruit
Sur le visage
De la morte Nico
Nico la ressuscitée
Sa voix résonnante émerge du hors–temps
Pour s’anéantir dans un déferlement musical
Elle devient de pierre
Où le berceau ?
Où est le cristal ?
Partout

 


gerardcourant.com © 2007 – 2024 Gérard Courant. Tous droits réservés.