LA SUBVERSION LETTRISTE : MAURICE LEMAÎTRE.

Libération, n° 848, 1er octobre 1976.

Vendredi soir, à la Maison des Jeunes et de la Culture Saint-Michel (métro : Saint-Michel), dans le cadre de la rétrospective des films présentés récemment au festival de Toulon (section Cinéma différent), il sera possible de découvrir quatre films du cinéaste lettriste Maurice Lemaître : Le Film est déjà commencé ? (1951), Un soir au cinéma (1962), Le Soulèvement de la jeunesse en mai 68 (1969) et Films infinitésimaux et supertemporels (1975).

Au dernier festival de Toulon, où un hommage fut consacré au cinéaste, les films de Maurice Lemaître ont étonné beaucoup de monde par leur modernité, leur fraîcheur, leur jeunesse, mais surtout par leur aspect visionnaire et leur avant-gardisme tout azimut. Ces films ont étonné davantage encore des jeunes cinéastes, présents à Toulon, qui croyaient avoir tout inventé et qui s’aperçurent, à la vision de ces films, que le génial auteur du Film est déjà commencé ? utilisait, il y a déjà vingt-cinq ans, maints procédés expérimentaux qu’eux-mêmes croyaient avoirs récemment découverts.

En intervenant directement sur la pellicule (grattée, coloriée, peinte, lavée à l’eau ou à l’acide, trouée, dessinée et recouverte de lettres et de chiffres), Maurice Lemaître enrichit plastiquement son oeuvre cinématographique tout en subvertissant et désacralisant l’image. À l’évidence, il fut le précurseur de nombreux cinéastes undergrounds américains, mais également l’un des pionniers de l’Expanded Cinema et de la performance en faisant participer le public, devenu artiste selon ses voeux et qui, plus tard, dans un projet utopique, dirigera lui-même la séance de cinéma.

Grand novateur de l’image, Maurice Lemaître l’est aussi par son travail révolutionnaire sur le son qu’il dys-synchronise de la bande image. Le son est conçu d’une manière autonome ce qui va à l’encontre des théories, des écoles, des mouvements et des pratiques cinématographiques de son temps où, au contraire, on tentait de coller au mieux l’image avec le son dans une synchronisation parfaite comme le furent les films du Cinéma-vérité, du Néoréalisme italien et les films précurseurs de la Nouvelle Vague.

Mais ce n’est pas tout – subversion suprême – Maurice Lemaître pirate l’image de manière quasi continue. En récupérant de la pellicule déjà impressionnée par d’autres cinéastes, Lemaître fait sienne cette pellicule. Et, par un montage habile et inventif, il parodie maintes scènes anodines grâce à une bande sonore très personnelle composée de poèmes lettristes faits d’onomatopées et de commentaires off.

Héritier des surréalistes, des dadaïstes et des cinéastes abstraits des années 1920, Maurice Lemaître a su allier esthétique et politique sans que l’un prenne le pas sur l’autre, ce qui n’est pas une mince performance et justifie pleinement la réévaluation de son oeuvre qui est en cours actuellement.

Gérard Courant.

 


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