FESTIVAL DE GRENOBLE (ET RETOUR À SAINT-MARCELLIN).

Art press, n° 56, février 1982.

À chaque festival de cinéma, on espère que l’on va découvrir le chef d’oeuvre. Et, très souvent, on est déçu. Quelles en sont les raisons ? Les festivals se sont multipliés à une vitesse si galopante qu’ils en sont à montrer toujours les mêmes films, le même cinéma, à distiller le même ennui. Si on n’a pas l’originalité d’un Pierre Queyrel qui, à Digne, a su concevoir un espace unique sur et autour du cinéma, il faut chercher d’autres solutions. On pourrait remplir cette page de toutes les mauvaises idées que les municipalités ont pour promouvoir leurs cités en utilisant le cinéma comme emblème publicitaire de leur ville. Peine perdue, en général, le public ne se précipite pas aux projections et ces manifestations épisodiques ont plus l’air d’un enterrement de première classe que d’une fête, même ratée. L’idée du Festival du Cinéma Français de Grenoble et dans l’Isère qui se déroula du 10 au 22 novembre est excellente. Elle consiste à faire éclater le festival dans une vingtaine d’autres villes (de l’Isère) afin que toutes sortes de films soient vus ailleurs que dans les lieux habilités et usés jusqu’à la corde de ce genre de présentation (les maisons de la culture, les cinémathèques, les cinémas, etc.). Le Festival de Grenoble projette dans des écoles, des foyers, des théâtres, dans des bistrots et dans toutes sortes de lieux inédits auxquels on aurait pu ne pas penser.

C’était évident à Saint-Marcellin, ville de sept mille habitants, située au pied du Vercors à une cinquantaine de kilomètres de Grenoble où j’ai eu la chance de vivre les neuf premières années de ma vie. C’est dans cette petite ville tranquille que je devins cinéaste sans m’en rendre compte du tout en demeurant extasié, des heures durant, devant le massif du Vercors et dessinant en transparence sur une feuille de papier collée sur une vitre de la fenêtre de notre salle de séjour, sa chaîne de montagne calcaire qui barre l’horizon. J’y réalisais, là, inconsciemment, mon premier travelling (à moins que ce fût, bébé, promené dans une poussette !) Dans les années 1950, il y avait trois cinémas remplis tous les week-ends. Aujourd’hui, ils sont tous fermés. J’y avais découvert Tati, Fernandel, des films d’aventures et de guerre et Les Dix commandements qui fut le premier film que je vis seul sans parents et sans copains. Terrorisé, je m’enfuis à l’entracte.

Aujourd’hui, à Saint-Marcellin, quelques personnes qui accueillaient le festival essaient de faire revivre une salle, celle du théâtre (qui n’était pas salle de cinéma dans mon enfance). Le public revient, paraît-il, pour les « grands » films mais ils étaient rares à la séance du 14 novembre à laquelle j’ai assisté, dans une nuit déserte, presque célinienne.

Le cinéma n’est plus une fête populaire depuis longtemps, mais il est déprimant de voir le peu d’empressement des habitants des petites villes à décoller de leurs postes TV. Dans les campagnes, c’est différent. Dans un village, près de la Côte-Saint André, la projection du film Les Nouveaux paysans attira la grande foule dans la salle de classe de l’école. Projection involontairement surréaliste puisqu’il montre le retour de certains citadins à la terre à des paysans qui y ont toutes les peines à y vivre et à y rester !

Maintenant que tout le monde peut devenir cinéaste, il y a de moins en moins de spectateurs dans les salles de cinéma. Quand on lit l’imposant dernier numéro de la revue CinémAction réalisé par Christian Bosséno sur le thème « Cinémas paysans », on est sidéré par la masse de films réalisés en province qui traitent des questions rurale et paysanne et qui ne dépasseront jamais la limite géographique de leur département. Tant mieux. Il ne faut pas que les grenouilles se prennent pour des vaches.

Gérard Courant.

 


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