image du film.PÉRISSABLE PARADIS

Année : 2002. Durée : 1 H 10'

Fiche technique :
Réalisation, scénario, partition sonore, image : Gérard Courant.
Son, mixage : Jean-Daniel Bécache.
Montage : Élisabeth Moulinier.
Montage son : Élisabeth Moulinier.
Conformation : Franck Littot.
Musique : Bernhard Elsner.
Interprétation : Gérard Courant, Joseph Morder, Agnès Thomas, Mariola San Martin, Frédéric Taddeï, Gérard Martin, Pierre Vavasseur, Luc Moullet, Amalia Escriva, François Pain, Katja Sambeth, Patrick Zocco, Laurence Sarah Dubas, Ali Akika, Anne Bauer, Arnaud Dazat, Alain Riou.
Production : Jakaranda (Joël-Ange Kieffer, Philippe Djivas), Aqui TV, Centre National de la Cinématographie.
Distribution : Les Amis de Cinématon.
Administration de production : Evelyn Coiffard.
Assistante de production : Margot Fix.
Moyens techniques : Jakaranda, Perfect, les Productions du Sommeil.
Tournage : Juillet 1983 à septembre 2002 à Paris (France) et Saint Maurice (France).
Format de tournage : Cinéma Super 8 mm, Vidéo DVCAM.
Format de diffusion : Vidéo Beta SP.
Procédé : Couleur.
Cadre : 4/3.
Collections publiques :
-Forum des images, Paris (France).
-BnF (Bibliothèque nationale de France), Paris (France).
-Cinémathèque de Bourgogne-Jean Douchet, Dijon (France).
Première présentation publique :
27 décembre 2002, télévision Aqui TV (France).
Prix, récompenses :
-Découverte de l'année 2012, Site Inisfree, 1er janvier 2013.
Principaux lieux de diffusion :
-Télévision Aqui TV, (France), 2002.
-Cinémathèque Française, Paris (France), 2003.
-Gulf Film Festival, Dubaï (Émirats Arabes Unis), 2011.
-Site YouTube, 2012.
-Festival Cinémaville, Forum des images, Paris (France), 2013.
-Festival 100% Doc, Forum des images, Paris (France), 2016.
-Site Hey Event, 2016.
Dédicace : Le film est dédié à Jacky Évrard.

Présentation >>>

15 years through Le Bois de Vincennes - The "before" and "after" 1999 storm destructions.

(G. C.)

Périssable paradis est un journal filmé (1985-2000) sur les années durant lesquelles j’ai habité au bord du Bois de Vincennes.

Le film est réalisé à partir d’images de mes films tournées dans le Bois et de témoignages actuels de personnes riveraines ou amoureuses de cet espace connu de tous les Parisiens et, pourtant, si secret.

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Pendant 15 ans, de novembre 1985 à juin 2000, j'ai habité à Saint-Maurice, une petite ville calée entre les communes de Charenton-le-Pont et Joinville-le-Pont, qui borde la partie sud du bois de Vincennes. L'appartement que j'habitais, se trouvait dans un immeuble de six étages situé au 103 avenue de Gravelle. Il était perché au dernier étage de l'édifice, et surplombait le Bois, offrant une vue « imprenable » sur Paris et les banlieues Sud et Est de la capitale.

Durant toutes ces années, j'ai régulièrement filmé le bois de Vincennes de ma fenêtre, sous toutes les coutures, en toutes saisons et en toutes circonstances (lors du marathon de Paris, du passage du Tour de France, etc.). Ces images, qui font partie de mes Carnets filmés, sont en général des images paisibles, contemplatives de la réalité qui se déroulait au pied de mon « nid d'aigle ».

Peu à peu, pour de simples raisons de commodités bien compréhensibles, le bois de Vincennes est devenu un de mes lieux de tournage favori. J'y ai réalisé également des séquences de plusieurs de mes films et il m'est arrivé, fréquemment, d'y faire mes Cinématons.

Ce fil conducteur – le Bois de Vincennes – qui traverse horizontalement et transversalement mes autres films, à travers le prisme de mon regard de riverain, raconte la vie d'une partie bien délimitée de Paris, longue d'ouest en est en son maximum de 5,5 kilomètres et, du sud au nord, de 3,5 kilomètres.

Résultat : Périssable paradis est un journal filmé de type nouveau. C'est un exemple nouveau de journal filmé thématique.

« Tout le monde croit connaître le Bois de Vincennes, mais personne n'en connaît tous ses trésors » disait Charles Trénet qui l'a arpenté dans tous les sens pendant tant d'années.

Durant ces 15 ans de tournage intermittent, j'ai traqué la vie qui s'étalait à mes pieds au rythme des saisons, de la lumière, des faits et gestes des promeneurs, des joggers, des cyclistes, des motards, des automobilistes, etc.

Au fil des années, rien ne semblait pouvoir perturber cette symphonie de la vie, ce train-train bien ordonné. Et puis, le 26 décembre 1999, la tempête, qui a ravagé la France et l'Europe occidentale, est passée par le Bois de Vincennes déracinant ou brisant quelque 70 000 arbres (sur les 130 000 existants). Un vrai champ de bataille ! Placé aux premières loges, j'ai aussitôt filmé ce désastre durant les jours qui suivirent. La vie avait comme disparu. Il ne restait plus que de la matière : des racines et des troncs d'arbres déchiquetés par la tempête que dorait un soleil hivernal.

À ces images d'archives, j'ai ajouté des témoignages de personnes riveraines du Bois et de personnalités qui aiment ce lieu et qui connaissent ses trésors.

En premier lieu, j'ai rencontré Anne Bauer, femme de radio, habitante à la lisière du Bois depuis un demi-siècle et le scénariste et journaliste Alain Riou, autre riverain de longue date qui sillonne chaque jour cette « ville dans la ville » à vélo.

Des amoureux du Bois, j'ai rencontré Arnaud Dazat, passionné de cyclisme et fidèle du vélodrome de la Cipale qui est la dernière piste parisienne. Il sait tout de cet anneau plus que centenaire qu'il a fréquenté dès son enfance, assistant au Grand Prix de Paris de vitesse, aux arrivées de certaines classiques comme Les Boucles de la Seine et à celles du Tour de France (de 1968 à 1974).

Enfin, le cinéaste Ali Akika, co-auteur du film L'Olivier, ancien étudiant de l'université Paris VIII-Vincennes nous parle de cette faculté de Vincennes, institution-phare héritée des événements de mai 68. Construite en plein coeur du bois de Vincennes elle fut, pendant 10 ans, de 1970 à 1980 (avant qu'elle ne soit exilée à Saint-Denis), un laboratoire - un Ghetto expérimental, pour reprendre le titre de l'excellent film de Jean-Michel Carré - où furent pratiquées de nouvelles méthodes d'enseignement.

Quelles conclusions peut-on tirer de ces 15 années de tournage ? Il y a eu l'avant – et l'après-tempête. De mon poste d'observation, j'ai assisté au passage d'un millénaire à un autre, du paradis à l'enfer, de l'harmonie au chaos, de la paix à la guerre, de la vie à la mort. Ce fut aussi la vengeance des Dieux sur les Hommes.

Après ce chaos, les circonstances de la vie m'ont amené à déménager. J'ai quitté Saint-Maurice, cette ancienne ville de studios de cinéma où furent tournés, jusqu'au début des années 1970, tant de chef d'oeuvres du cinéma français pour m'installer à Montreuil-sous-Bois, à quelques mètres des anciens studios de Georges Méliès. Je n'ai plus de vue « imprenable » sur Paris. Je n'ai plus de Bois de Vincennes à portée de ma caméra. Qu'importe, puisque le Bois a été anéanti par la tempête. Il me reste 15 ans de souvenirs et d'images cinématographiques de ce lieu.

Bref, on l'aura compris, Périssable paradis est un compte-rendu poétique de mon rapport affectif au Bois de Vincennes.

(Gérard Courant)

Critique >>>

LES TRACES DU PASSÉ

À part avoir apprécié la vue « imprenable » que tu avais de ton appartement, voilà les choses qui m’ont traversé l’esprit pendant que je regardais Périssable Paradis.

Un lieu encore, des gens, des bouts de vie. La nature, la ville, la solitude, la multitude, une immensité maîtrisée. Le temps inexorable. Des mouvements, rapides, anonymes, des vanités face au mouvement imperceptible mais constant de la nature et de l’univers. Les saisons. Des traces, le passé. Le bois, le lac, l’appartement, ne sont pas un décor mais les véritables héros du film, ils sont doués d’une vie qui dépasse celle des personnages à deux pattes que l’on aperçoit de temps à autre, anonymes, amis, peu importe, ils appartiennent à cette multitude grouillante, qui s’agite, toujours trop vite pour rien. Alors paradoxe. Parce que le bois, le lac et l’appartement sont artificiels…

Le bois, le lac, l’appartement, sont comme les gens, ils sont vaniteux, ils se donnent de grands airs parce qu’ils sont en bois, en pierre, parce qu’ils étaient là avant nous, qu’ils sont plus grands que nous et qu’ils sont persuadés qu’ils nous survivront. Mais on rase des universités et les arbres sont déracinés. Si l’homme est un loup pour l’homme que dire d’une nature qui déracine toute seule 70 000 arbres en une seule nuit ? A ce stade, je pourrais invoquer Dieu. Mais il y a déjà trop à faire avec l’humain et le naturel pour s’embarrasser du divin.

En vérité, je vois dans ce film une jolie leçon de vie, une fable, les choses sont remises à leur place. Tout est périssable, tout est vanité, tout est fragile… Les vanités sont des chimères et les chimères sont jolies quand elles nous aident à vivre, l’art n’est que chimère et vanité, l’art nous aide à vivre…

Ça m’a rappelé une conversation récente que j’ai eue avec mon amie Florence, sur le ou les buts de l’art et de l’expression artistique, de la mise au point de langages universels pour produire de la paix… Ton histoire se finit bien, c’est la vie qui gagne.

Ça me rappelle aussi une nouvelle de Jean-Paul Sartre, Erostrate, c’est moins drôle mais il y a de nombreux points communs, je l’ai lue il y a longtemps mais la première page fait partie des textes qui m’ont marqué. Je ne sais pas si tu connais l’histoire et si tu ne t’es jamais fait peur en te prenant pour ce héros (anti-héros…) vivant au sixième… et regardant l’humanité grouillante du haut de son perchoir… Cette histoire conditionne mon regard sur toute prise de vue « d’en haut ». Je vais la relire ce soir.

Ta manière de filmer me rappelle enfin, les peintures ou décors retrouvés dans les sépultures antiques… Toute cette matière sur laquelle les archéologues et les historiens se basent pour reconstituer la vie de sociétés disparues. Imagine un cataclysme. Il ne reste plus rien de notre société actuelle. Quelques centaines d’années après, par miracle, un archéologue de l’an 3010, retrouve des films de Gérard Courant… Je prendrais un jour le recul nécessaire pour imaginer la reconstitution du XXème siècle que ferait mon archéologue de 3010 à partir de tes films…

(Alexia Morel, 2006)



IL Y A LES 4 SAISONS

Il y a les 4 saisons. L'hiver il neige et les gens ont froid. On le voit de temps en temps. Il met la date, le jour, l'année. Exemple : 20 février 1996. Il ne met que des différents courts métrages. Il aime le vélo. On le voit dans ses courts métrages. Il filme des gens en plan fixe, ils peuvent faire se qu'ils veulent. Il y a une tempête. 70 000 arbres sont tombés. Il y a des sons des autres films...

(Zélie Coulon-Morel, critique d'art, 8 ans (bientôt), 18 juillet 2006)



UNE ASSOCIATION POÉTIQUE

Je voudrais te signaler un plan que j'ai trouvé cinématographiquement très beau. Celui d'un ciel d'où tombent les flocons pendant que nous entendons quelqu'un grimper dans des escaliers... Je trouve cette association ciel/neige et bruit de pas dans les escaliers d'une terrible efficacité ; comme quelque chose que nous cherchons dans le cinéma et que nous trouvons que rarement, comme un genre d'association inattendue, poétique et très profitable pour notre imaginaire. De plus ce croisement de mouvement descendant et montant est d'une complétude totale !

(Philippe Leclert, 17 décembre 2009)



LE BOIS EST UNE FICTION

Un projet cinématographique peut partir d'un besoin de personnage, d'un besoin d'acteur/actrice, d'un besoin de récit, mais plus rarement comme dans ton travail, d'un besoin de lieu. C'est même un des enjeux principaux de l'ensemble de tes films : le désir d'un lieu, la résurgence d'un lieu, le souvenir d'un lieu, l'arpentage d'un lieu. Tout d'abord le lieu, ensuite et seulement ou éventuellement l'occupant des lieux (mais je m'avance peut-être imprudemment...). Il est vrai que dans chaque homme sommeille un bois et si l'homme ancien est parvenu à s'en extraire, ce même bois, sans cesse, le rappelle à lui.

La clairière n'existe que par la forêt, la forêt n'existe que par la clairière. Filmer ou explorer à partir de la clairière (dénommée par exemple Saint-Maurice) le bois d'où l'on vient, voilà une belle tentative cinématographique! Car le bois n'abrite pas que les coureurs, les promeneurs, il abrite aussi l'inexploré, même au Bois de Vincennes! Comme le dit si bien Alain Riou, le bois est une fiction ! Le bois ne demande qu'à être imaginé, élargi, approfondi. Peu importe sa réalité (si jamais il en possède une), c'est sa fiction qu'il s'agit d'explorer. C'est-à-dire nous-mêmes. Et plus le bois s'explore, plus il se recule, plus le connu déroule l'inconnu. Quand il neige sur le bois, c'est un autre bois. Et si le bois se recompose, c'est toujours pour en recomposer son promeneur, son arpenteur. Le bois de Périssable paradis abrite des joyeux compagnons, à commencer par un roi de la forêt dont la cécité (?) l'oblige à une marche pénible. Sans doute n'est-il pas tout-à-fait roi et l'exploration-découverte de son royaume le couronnera plus tard... Voilà bien d'ailleurs ce qui sous-tend Périssable paradis : connaître le bois pour qu' il nous « déboise et défriche » à son tour par une étrange opération alchimique... Ce film est donc à l'image de la vie des hommes : après le déluge et la tempête qui saccage le paradis (toujours temporaire sur terre et en nous), surgit la reconstruction, la replantation, la repousse : en un mot la renaissance. Et celle-ci passe toujours par une connaissance approfondie des cycles de vie de la forêt... même à Paris...

(Philippe Leclert, 28 décembre 2009)



DES ÉCHAPÉES BELLES ET FANTAISISTES

Riverain du Bois de Vincennes pendant quinze ans, Gérard Courant a filmé les arbres en toutes saisons, les passants et les promeneurs, les évènements cylistes, etc. En 1999, il est le témoin meurtri de la tempête et de son bilan désastreux : 70 000 arbres sont déracinés.

L'auteur des Cinématons réalise ici un montage à partir d'images de son journal filmé en super 8 et de nouvelles images réalisées en vidéo. La chronique et la cartographie laissent parfois place aux échappées belles et fantaisistes.

(Loïc Bages, Forum des images, 2009)



AU BOIS DE MON COEUR

Le cinéma de Gérard Courant possède trois dimensions mais ne nécessite aucune lunette spéciale pour les percevoir. Je peux l’exprimer ainsi : la première est celle de l’archiviste. Gérard Courant filme tous les jours ou presque, comme on s’étire en se levant ou comme on se brosse les dents le soir. Pour se sentir bien, pour s’entretenir au physique comme au mental. Comme un dessinateur ne quitte pas son carnet de croquis, comme un cycliste qui a besoin de ses quelques dizaines de kilomètres réguliers. Pour mener à bien ce programme, Gérard Courant filme tout. Tout ce qui tombe sous son œil inlassablement curieux. Filmeur à l’œil-caméra, c’est son côté frère Lumière, eux qui tout à la joie de leur invention ont filmé les mille et une choses de leur quotidien, les gens, les lieux, sans préméditation ni se rendre compte immédiatement qu’ils fabriquaient de précieuses archives pour le futur. Gérard Courant, lui en est conscient, mais il s’efforce de retrouver l’innocence du geste. L’enfance de l’art. Son côté archiviste l’amène à trier, ordonner, classer, monter, montrer et préserver. Son œuvre est ainsi composée d’une base de centaines d’heures d’archives filmées, de sons aussi, et le temps travaille pour elle.

La seconde dimension est une dimension poétique. Il ne suffit pas de voir, il faut savoir regarder. S’il filme tout, Gérard Courant ne filme pas n’importe quoi. Il porte sur le monde un regard qui se veut à la fois discret et aimant. Qu’il filme les cinéastes, les actrices, les vélos, les rues de son enfance, les cinémas ou les arbres, il filme l’objet et le sentiment d’affection qu’il lui porte. Au travail contemplatif de sa mise en scène, qui vise à se faire oublier, se juxtapose un mouvement d’empathie pour le sujet. Une démarche poétique qui permet à la de révéler la beauté des choses et des gens. Il suffit de se souvenir de ce sourire lumineux de Sandrine Bonnaire dans ce Cinématon d’avant Pialat.

La troisième dimension, enfin, en une dimension transversale. Normal pour une troisième dimension. Les archives sont agencées, sous la conduite du regard poétique, en des constructions parfois complexes, parfois simples, qui brassent le temps, les espaces et des formats différents d’images (super 8, vidéo, 16 et 35 mm, intertitres) pour constituer soit une série (les Cinématons, les Portraits de groupes, les Cinémas où ont été projetés les films de Courant, etc.), soit un film individuel trouvant sa cohésion dans un thème (portraits de Joseph Morder ou de Luc Moullet, Chambéry-Les Arcs, etc.). J’y vois une analogie avec le travail d’un géologue qui, à partir des différents types de roches affleurant la surface, dessine la coupe d’un terrain pour en raconter l’histoire.

Périssable paradis est un bel exemple de ce dernier type et éclairera, je l’espère, cette première partie toute théorique. C’est que ce principe des trois dimensions est capital pour saisir tout le plaisir que l’on peut avoir aux films de Gérard Courant. De 1985 à 2000, le cinéaste a habité face au bois de Vincennes au 103 avenue de Gravelle. Toutes ces années, il a donc filmé de différentes façons de multiples moments (les archives), depuis sa fenêtre, en promenade, à l’occasion d’une course cycliste, d’un événement météorologique remarquable (la neige, la neige sur Paris c’est toujours superbe), à l’occasion du tournage d’autres films ou d’événements particuliers. Périssable paradis est donc la chronique poétique d’un lieu, ce bois de Vincennes aimé, qui traverse les années, collection de petits instants, une aube, un crépuscule, fragments de Cinématons tournés là (transversalité), tournage de Chambéry-Les Arcs, entretien pour la télévision, petites saynètes jouées pour l’occasion avec les amis, Moullet, Morder, Alain Riou, Arnaud Dazat à la Cipale. Précis selon son habitude, Courant donne les dates et les lieux, des informations et part à l’occasion sur les traces du passé avec le cinéaste Ali Akika (La mythique Université de Vincennes des années 70 aujourd’hui disparue).

Mais cette longue histoire d’amour entre Courant et le bois de Vincennes est traversée d’un drame qui donne une intensité particulière au film. En 1999 la France est traversée d’une formidable tempête qui dévaste, entre autre, le bois. Des arbres plusieurs fois centenaires sont arrachés, le paysage est ravagé, les routes coupées, le paradis qui semblait immémorial révèle sa fragilité. Il est blessé, il pourrait mourir. Déjà, comme il est dit à un moment du film, le Bois de Vincennes est un espace préservé de l’urbanisation implacable de Paris. Rien n’est acquit au bois, ni sa force, ni sa faiblesse. A la douceur du temps qui passe, Gérard Courant juxtapose la violence de la mort qui frappe. Mais il ne s’y résout pas et la dernière partie montre la lente convalescence du lieu, la paix progressivement retrouvée l’histoire qui se poursuit. Le film ne manque pas non plus d’humour, entre Moullet enterré jusqu’au cou dans les débris d’arbres, Morder traversant l’écran en monstre du bois sur les cris de King Kong (1933) en bande son, et cette profession de foi : à la question « êtes vous fou ? » posée par la télévision, Courant répond « sans doute, mais je le serais certainement plus si je devais attendre un ou deux ans pour faire un film ». Le cinéaste livre en passant sa conception de la pratique cinématographique dont Périssable paradis est un bel exemple.

Tout ceci ne serait rien s’il ne s’ajoutait le rapport au spectateur. Si les films de Gérard Courant permettent la découverte, ils peuvent toucher plus profondément ceux qui partagent les centres d’intérêt du réalisateur. Ainsi l’amateur de cyclisme ne pourra que retrouver sa passion dans Chambéry-Les Arcs, celui du cinéma de Philippe Garrel se réjouir des documents incomparables réunis par Courant dans ses entretiens avec l’auteur de L’enfant secret. En ce qui me concerne, j’ai vécu mon enfance parisienne aux portes du bois de Vincennes, Porte Dorée. Le bois, le lac Daumesnil, le petit temple, la Cipale, le rocher dominant le zoo de Vincennes, le parc floral, étaient autant de destinations des promenades familiales. C’est dire si le moindre des plans de Périssable paradis est pour moi une madeleine proustienne me ramenant à l’époque où je cavalais dans les feuilles tombées des marronniers. Cette faculté de partager de la matière intime sans pathos, avec délicatesse, sans avoir l’air d’y toucher, est la grande force du cinéma de Gérard Courant. Il nous propose de partager ici un peu de l’air frais sous les frondaisons d’un endroit unique au monde, quelque chose d’un art de vivre et de filmer.

Pour information, Périssable paradis sera diffusé le 15 mars 2013 au Forum des Images, à Paris. Séance à 19h00 en compagnie du court métrage Dévotion (1982)

(Vincent Jourdan, Le Blog Inisfree, 6 mars 2013)


 


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